Xavier Bettel: «Je n'interdis pas TikTok parce que c'est chinois»
Xavier Bettel a indiqué ce mardi à son arrivée au Conseil européen ne pas vouloir faire du «China-bashing», alors que plusieurs pays ont décidé de bannir le réseau social chinois. Le Grand-Duché craint-il de se brouiller avec la Chine?
Xavier Bettel, Premier ministre et ministre de la Digitalisation, a fait connaître sa position au sujet de TikTok à Bruxelles. © PHOTO: AFP
«Je n'interdis pas TikTok parce que c'est chinois. Mais si j'ai la preuve qu'il y a quelque chose, je l'interdirai». Xavier Bettel (DP) a expliqué ce jeudi lors de son arrivée au Conseil européen qu'il ne souhaite pas faire du «China-bashing» juste pour faire du «China-bashing».
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Le Premier ministre luxembourgeois a également informé qu'il avait demandé à la Commission européenne plus d'informations sur les raisons pour lesquelles elle avait décidé de suspendre l'utilisation de TikTok sur les téléphones des fonctionnaires, mais il a ajouté qu'il «attendait toujours la réponse».
Début mars, Xavier Bettel, qui occupe également le poste de ministre de la Digitalisation, avait indiqué avoir fait cette demande dans une réponse parlementaire adressée au député Marc Goergen (Pirate).
Les pays s'opposant à TikTok s'allongent
«La Commission répond aux demandes des autorités nationales le cas échéant. Nous ne commentons pas les questions de sécurité informatique interne», a déclaré un porte-parole de la Commission auprès de Luxtimes. L'intéressé a également affirmé que «la décision prise par la Commission se limite à l'environnement informatique du personnel de la Commission».
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«L'interdiction de TikTok fait partie d'un mouvement plus large dans les pays de l'OTAN. Je ne sais pas exactement d'où elle vient, mais elle est d'origine américaine», a déclaré un diplomate de l'UE auprès de Luxtimes, sous couvert d'anonymat.
TikTok, dont la société mère ByteDance est chinoise, fait l'objet d'une surveillance croissante des Occidentaux en raison de craintes que Pékin ne puisse accéder aux données des utilisateurs à travers le monde.
Ces dernières semaines, la liste de pays s'opposant à TikTok s'est progressivement allongée avec en figure de proue les Etats-Unis.
TikTok est une entreprise chinoise qui est aujourd'hui obligée de coopérer avec les services de renseignement chinois.
«S'assurer que les technologies fonctionnent pour, et non contre, les démocraties est une priorité essentielle pour les États-Unis», a souligné un porte-parole de l'ambassade des Etats-Unis auprès de Luxtimes. «L'administration Biden-Harris accorde depuis longtemps la priorité à la lutte contre les préjudices causés par le manque de responsabilité des plateformes technologiques. Nous coordonnons nos efforts avec ceux de nos partenaires pour répondre à des questions difficiles sur la manière dont la politique américaine peut relever les défis modernes dans ce domaine.»
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La Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, le Danemark, le Canada ou encore récemment la Belgique ont également décidé de se prononcer contre l'utilisation de TikTok sur les appareils gouvernementaux.
«Nous ne devons pas être naïfs: TikTok est une entreprise chinoise qui est aujourd'hui obligée de coopérer avec les services de renseignement chinois. C'est la réalité.» Le Premier ministre belge Alexander De Croo a ainsi expliqué sa décision d'interdire le 10 mars pour six mois l'application TikTok sur les téléphones de fonction fournis par l'État fédéral. Pour se justifier, il a pointé le risque de détournement de données sensibles au bénéfice de la Chine.
«Chacun décide pour soi»
Sollicité par Virgule, le ministère de la Digitalisation a indiqué ce jeudi matin «suivre de près cette affaire». «Nous ne nous laissons pas stresser ou influencer par la décision d'autres pays, nous regardons ce qui est bon pour le Luxembourg. Nous sommes prêts à réagir s'il le faut, mais à l'instant T aucune décision n'a été prise».
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Si la Belgique a acté un bannissement temporaire, le gouvernement luxembourgeois estime que «chacun décide pour soi». Pourtant, le Luxembourg travaille en étroite collaboration en matière de sécurité et de coopération militaire avec le plat pays. Prenons pour exemple l'espace aérien luxembourgeois qui est surveillé en permanence par la composante air de la Défense belge. Ce sont donc des avions de chasse de l'armée belge qui entreraient en action si un objet suspect survolait le Luxembourg.
Pour prendre une décision, le gouvernement a demandé des précisions à la mesure prise par la Commission européenne: «Il s'agit d'un complément d'information à notre réflexion».
Quel serait l'événement déclencheur pour que le Luxembourg emboîte également le pas aux autres pays cités? «C'est à déterminer le moment venu», s'est contenté de dire le ministère de la Digitalisation.
Celui-ci explique que «tous les appareils de l'Etat disposent d'un niveau de sécurité maximum dont les règles de sécurité ne sont bien sûr pas à dévoiler». Aucune interdiction n'existe concernant le téléchargement et l'utilisation d'applications sur les appareils du personnel de l'Etat, fait également savoir le ministère. En clair, pas d'interdiction à ce stade de TikTok pour les portables des ministres et personnel de l'Etat.
Des liens étroits avec la Chine
Notons que le Premier ministre Xavier Bettel (DP) est d'ailleurs lui-même présent sur le réseau social chinois. Son compte est suivi par 11.600 internautes. Dans sa dernière publication, il a partagé avec ses abonnés la visite de la Première ministre finlandaise Sanna Marin au Luxembourg.
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Le Grand-Duché craint-il de se brouiller avec la Chine en bannissant TikTok? Rappelons que sept banques chinoises sont implantées au Luxembourg. La Bank of China avait choisi le Luxembourg pour installer sa première filiale à l'étranger en 1979. La Chine détient aussi des parts dans la Banque internationale à Luxembourg (BIL). Depuis 2018, la société d'investissement chinoise Legend Holdings Corporation détient près de 90% des actions de la BIL.
En début d'année, trois poids lourds du gouvernement se sont déplacés à la réception du Nouvel An chinois en début d'année comme le rapporte le Land fin janvier dernier pour «continuer à soigner les relations du Luxembourg avec la République populaire de Chine». En l'occurrence, il s'agit du Premier ministre Xavier Bettel, le ministre de l'Économie Franz Fayot (LSAP) et la ministre des Finances Yuriko Backes (DP).
Que compte faire la Chambre des députés?
A partir du 31 mars, le réseau social chinois TikTok sera interdit d'utilisation sur les appareils des membres du Parlement néo-zélandais. L'interdiction concernera tous les appareils ayant accès au réseau parlementaire. Faut-il s'attendre à une réaction similaire de la part de la Chambre des députés au Grand-Duché? Sollicitée par Virgule, la Chambre a répondu en ces termes: «Depuis un certain temps, différentes mesures ont été prises pour garantir la sécurité. Une analyse est actuellement menée par les services spécialisés (RSSI – Responsables de la sécurité des systèmes d'informations et technologies de l'information) pour cerner l'impact.»
La Chambre des députés rappelle également être présente en tant qu'institution sur différents réseaux sociaux et que «cette présence pourrait être élargie à l'avenir».
Des mesures ont-elles été prises par l'armée?
La direction de la Défense explique que «le personnel de la direction de la Défense et de l'armée luxembourgeoise suivent les mêmes recommandations de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) que l'ensemble du personnel de l'État».
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«Au vu de la participation à des opérations militaires, l'armée estime que son personnel pourrait être exposé à des risques plus ciblés et élevés que la majorité des autres agents de l'Etat. Il en découle que, depuis plusieurs années, l'armée émet des directives et recommandations particulières à son personnel en matière de cybersécurité et présence sur les réseaux sociaux.»
Si la dernière révision de ces directives et recommandations a eu lieu en mars 2022, la direction de la Défense assure que «les experts cyber de l'armée suivent de près les développements et risques liés au cyberespace et adapteront les recommandations le cas échéant». Elle précise également que «l'ensemble du personnel de l'armée suit régulièrement des sensibilisations et cours en matière de cybersécurité et de risques liés aux médias sociaux».